En Russie, le « Medvedevgate » embarrasse le Kremlin

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Le Monde

Accusé de corruption, le premier ministre de Vladimir Poutine, avec qui il forme un duo au pouvoir depuis des années, chute dans les sondages.

La popularité de Dmitri Medvedev s’écroule. Pour la première fois, selon un sondage de l’Institut Levada publié mercredi 26 avril, 52 % des personnes interrogées ne « font plus confiance » au premier ministre russe, et près de la moitié, 45 %, se déclarent favorables à sa démission contre 33 % (plus de 20 % sont indécis). A un an de la présidentielle de mars 2018, l’image dégradée du deuxième personnage de l’Etat déséquilibre le duo qu’il forme depuis des années avec Vladimir Poutine. Un dilemme pour le Kremlin : maintenir M. Medvedev risque de nourrir le mécontentement, le remplacer serait perçu comme une victoire de l’opposition.

Depuis la diffusion, début mars, de la vidéo sur « les biens cachés » du premier ministre commentés en détail par l’opposant Alexeï Navalny, le « Medvedevgate » s’est installé dans le paysage. Non seulement le film, qui a désormais dépassé les 20 millions de vues, a provoqué les plus importantes manifestations de rue depuis cinq ans à Moscou, et parfois même depuis les années 1990 dans les régions, mais il continue à alimenter la chronique politique intérieure.

Cette vidéo a agi comme un détonateur. Car les déboires du chef du gouvernement ont commencé bien avant, en mai 2016, lors d’un déplacement en Crimée. Interpellé par une retraitée qui lui demandait comment vivre avec 8 000 roubles par mois (133 euros), il avait alors répondu : « Nous n’avons pas d’argent, tenez bon. Bonne santé ! » La réplique s’est répandue à une vitesse fulgurante sur les réseaux sociaux.

Piètre mise en scène
« Depuis un an, la popularité et la confiance dans le gouvernement chutent, il n’y a eu aucun plan anti-crise et le gouvernement ne réagit pas », relève le politologue Kirill Rogov. La présentation, le 19 avril, du bilan 2016 du gouvernement à la Douma, la chambre basse du Parlement, a donné lieu à une piètre mise en scène. Consigne avait été donnée aux élus de ne poser aucune question sur le « Medvedevgate ». Et lorsqu’un député communiste s’y est risqué, il a eu cette réponse : « Je ne vais pas commenter ces faux produits par des voyous politiques et je pense que le Parti communiste devrait s’abstenir aussi. » Puis Medvedev a poursuivi son discours : « En général, notre pays avance. »

La récente publication de ses revenus, 8,6 millions de roubles en 2016 (143 000 euros environ) – un peu moins que M. Poutine, qui affiche 8,8 millions – et de ses biens, un terrain de 4 700 m2, un appartement de 367 m2 au nom de sa femme, Svetlana, et deux voitures, n’ont pas convaincu. M. Medvedev, 51 ans, accuse le coup. Il paraissait figé, le visage fermé au côté de M. Poutine, qui l’a convié au dernier moment à figurer à ses côtés sur l’archipel François-Joseph en prélude à un sommet sur l’Arctique, trois jours après les défilés monstres en Russie. Une façon pour le chef du Kremlin d’affirmer qu’il ne se séparerait pas, sous la pression, de son fidèle second, le plus ancien dans la fonction de premier ministre depuis son arrivée au pouvoir en 2000.

Président de 2008 à 2012, afin de permettre à l’actuel chef de l’Etat de se représenter, M. Medvedev avait acquis la réputation d’un libéral ouvert amateur de smartphones. « Il est le maillon faible du pouvoir et si, avant, il y avait encore une certaine illusion sur le fait qu’il pourrait remplacer Poutine, ce n’est désormais plus possible », souligne Andreï Kolesnikov expert au centre de réflexion Carnegie Russie.

« Au début de sa présidence, Medvedev avait un certain crédit comme idéologue de la modernisation à l’opposé du côté “siloviki” [forces de sécurité] de Poutine, mais cette image a complètement disparu, renchérit le politologue Kirill Rogov. Son poids politique est très bas et cela convenait bien au Kremlin, jusqu’ici, que le gouvernement absorbe le mécontentement. »

La donne a changé. Les enquêtes d’opinion réalisées chaque semaine par l’institut public VTsIOM montrent que M. Poutine est impacté. Au lendemain des manifestations massives du 26 mars, sa côte de confiance (mais non sa popularité) est passée pour la première fois depuis février 2014 sous la barre des 50 %. Le pouvoir devient fébrile.

Les rassemblements prévus samedi 29 avril dans 30 villes avec le mot d’ordre « Nadoel »(« on en a marre »), lancé par Russie ouverte, seront « illégaux », a prévenu le ministère de l’intérieur. Mercredi, le parquet russe a classé ce mouvement d’opposition fondé par l’opposant en exil Mikhaïl Khodorkovski comme « organisation indésirable », au motif que ses activités « visent à inciter à des manifestations et à déstabiliser la situation politique, ce qui constitue une menace (…) pour la sécurité de l’Etat ». Jeudi, c’était au tour de la branche russe de Russie ouverte de faire l’objet d’une perquisition à Moscou par la police du Centre de lutte contre l’extrémisme.